Reference : V-P-RU-E-00549
Date : 04/04/2008
Country/Region : RUSSIA; CHECHNYA
Caption : Solkhshina. A woman is holding the picture of her missing son.
Confidentiality level : public
Publication restrictions : publication without restrictions
Copyright : ICRC
Description : Accueil > Dans le monde > Europe orientale et Asie centrale > Russie
4-04-2008 Éclairage

Tchétchénie : Gawza dit qu’elle n’a plus d’yeux pour pleurer
Le CICR s’est lancé en janvier 2008 dans un programme d’évaluation des besoins légaux, administratifs, psychologiques et psychosociaux des personnes touchées par la disparition d'un être cher. Virginie, psychologue, et Aïna, employées du CICR à Grozny, ont rendu visite à Gawza dont le fils a disparu.


Gawza nous accueille dans le séjour de sa maison, située dans le village de Solkushina au nord de la république de Tchétchénie. Le mobilier est rudimentaire : deux canapés, un peu de vaisselle dans un buffet et une photo de la Mecque avec quelques sourates du Coran. Elle nous installe confortablement sans même connaître l’objet de notre visite. Le poêle à gaz fait régner une chaleur étouffante dans la pièce.


Virginie explique à Gawza que le CICR rend régulièrement visite aux personnes dont un ou plusieurs proches ont disparu afin d'évaluer leurs besoins et de leur apporter un peu de réconfort, dans la mesure du possible. La discussion s'installe rapidement. Aïna traduit pour Gawza, qui commence à parler, pour ne plus s’arrêter. Elle a tellement à dire. Elle s’essuie les yeux mais aucune larme ne coule de ses yeux fatigués.

Khassan, âgé de 37 ans, un des fils de Gawza, est porté disparu depuis 2005. Cette mère désespérée a déjà perdu un autre fils. Ce dernier fut retrouvé quelques semaines après sa disparition : mort et décapité. Gawza dit qu’elle n’a plus d’yeux pour pleurer.

Depuis la disparition de Khassan, certaines pensées l'obsèdent : lorsqu'elle mange, elle se demande si son fils mange ; lorsqu'elle se couche, elle se demande où son fils est couché… Elle dort mal, elle vit seule et elle est si fatiguée. Mais elle prie beaucoup, ça l’aide, dit-elle.


Continuer à vivre

Gawza pense que son fils est toujours de ce monde. Elle le sait, elle le sent. Un diseur de bonne aventure lui a d’ailleurs annoncé que son fils se trouvait quelque part, très loin. Et puis elle a entendu l’histoire d’un homme revenu après plusieurs années de disparition, d’un lointain centre de détention tenu secret. Elle espère que son fils soit aussi là-bas, ou ailleurs…

Pour éviter de trop penser, elle marche dans le village quand le temps le permet. Elle parle aux gens. Elle ne veut pas savoir ce que le CICR a entrepris pour retrouver son fils ni aller parler aux associations de familles de disparus. Cela ne l’aiderait pas. Elle veut s'accrocher aux nouvelles et aux histoires réconfortantes.

Son visage s’éclaire un peu quand Virginie lui demande si elle voit ses petits-enfants. Elle en a sept et aime jouer avec celui qui ressemble le plus à Khassan. Ça la soulage, elle fuit le présent et s’échappe dans ses souvenirs.

Elle dit aussi que, parfois, il lui arrive d'avoir envie d'arrêter de vivre. Lorsque Virginie lui reformule son propos, elle répond en souriant : "Non, en fait, je n'y pense pas très souvent."

Gawza rêve de son fils. Il lui parle de là où il est, il dit qu’il est vivant. Doucement, Virginie et Aïna prennent la parole : "Essaye d'imaginer ce que ton fils voudrait s'il savait que sans cesse tu penses à lui, au point de ne plus pouvoir vivre. Que te dirait-il ?"

"Oui, je vais essayer, dit-elle, peut-être…"

Elle évoque son autre fils décédé : "Au moins, je sais où il est, j’ai pu faire mon deuil." Elle réajuste son voile et regarde Aïna et Virginie : "Merci. J’ai tant besoin de parler."


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Chechnya: Gawza says she is all cried out
In January 2008 the ICRC embarked on a programme designed to assess the legal, administrative, psychological and psycho-social needs of people who have a loved one missing. Virginie, a psychologist, and Aïna – both working for the ICRC in Grozny – visited Gawza, whose son is missing.


Gawza welcomes us into the living room of her home in the village of Solkushina in northern Chechnya. The furniture is rudimentary: two sofas, a bit of crockery in a sideboard and a photo of Mecca with a few suras from the Koran. She welcomes us before she has even found out why we are here. The gas stove makes the room stiflingly hot.

Virginie explains to Gawza that the ICRC regularly visits people with one or more relatives missing in order to assess their needs and bring them whatever comfort it can. They soon enter into a discussion. Aïna translates for Gawza, who, once she has started talking, cannot stop. She has so much to say. She wipes her tired eyes, but no tears flow.
Gawza’s son Khassan, 37, has been missing since 2005. This desperate mother has already lost another son, found dead and decapitated a few weeks after he went missing. Gawza says she is all cried out.

Since Khassan’s disappearance, she has been haunted by certain thoughts: when she eats, she wonders whether her son is eating; when she goes to bed, she wonders where her son’s bed is. She sleeps badly, she lives alone, she is so tired. But she prays a lot, she says, and it helps.


Keeping on living

Gawza thinks her son is still alive. She’s sure of it, she can sense it. What’s more, a fortune-teller told her that her son was somewhere very far away. And then she’s heard the story of a man who came back – several years after going missing – from a secret detention centre a long way away. She hopes her son is there too, or elsewhere.

To keep from thinking too much, she walks around the village when the weather allows. She talks to people. She doesn’t want to know about the ICRC’s efforts to locate her son, or to go and talk to associations for the families of missing persons. It wouldn’t help. She wants to hold on to comforting stories and pieces of news.

Her face lights up a little when Virginie asks her whether she sees her grandchildren. She has seven, and likes playing with the one who most resembles Khassan. It makes her feel better, allowing her to flee the present and escape into her memories.

She also says she sometimes wants to stop living. When Virginie repeats this back to her, she answers with a smile: “No, really, I don’t think about it that often.”

Gawza dreams about her son. He talks to her from where he is, telling her he’s alive. Virginie and Aïna speak softly: "Try to imagine what your son would want if he knew you were thinking about him all the time, to the extent that it stops you from living. What would he say to you?”

"Yes, I’ll try,” she says, “maybe”.

She talks about her other, dead son. “At least I know where he is, and I’ve been able to mourn”. She adjusts her veil and looks at Aïna and Virginie: "Thank you. I really need to talk."



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